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Pascale Serre, son appartement-atelier

Comme d’habitude, la catégorie « visite d’ateliers » ne comporte pas vraiment de commentaires sur les œuvres de l’artiste. Juste une ambiance. Une atmosphère que j’aime bien.

C’est un de ces appartements insoupçonnés au centre ville de Dijon ( car, qui lève les yeux vers les fenêtres au-dessus des magasins de la rue Piron ou de la rue du Bourg?). Un de ces logements très anciens aux parfums d’humidité. Aux cages d’escaliers et couloirs étroitement enchevêtrés. Pascale Serre est là. Dans son espace bien à elle. Où règne, étrangement, comme dans ses peintures, à la fois ténèbres et lumière.

Oui, la pénombre. Même en plein après-midi. Mais des petits éclairages électriques intimes et des lueurs douces à travers les rideaux tirés. Oui, la mort très présente, sous forme de tableaux représentant des animaux morts, de corbeaux empaillés qui volent dans la pièce, de toiles couchées là,  cachées sous les tapis, celles qu’elle appelle « mes morts »  (« La Collection », qu’elle avait magnifiquement exposée au musée archéologique en 2013). Mais une mort apprivoisée, amicale, inhérente à la vie. Au mur, une toile très grand format est en phase d’achèvement. Sombre. Comme Pascale Serre sait si bien faire (atmosphère de forêt obscure). Mais, à ses côtés, une autre toile, plus ancienne, éclate de couleurs vives (peut-être de l’époque où elle était élève de Pierre Alechinsky).

L’autre mur, en face, est comme un grand morceau de vie. « J’ai besoin d’avoir mes images autour de moi! » sourit l’artiste. Dessins, peintures, photos, portraits… Qu’elle arrange avec harmonie. Qu’elle change au rythme du temps. Sa famille, ses amis, ses souvenirs… On s’assoit tout contre, près des tables qu’elle a habillées de beaux tapis indiens, de laine rouge et noire, venus d’Amérique. Elle raconte pêle-mêle les Beaux Arts de Paris, ses 22 ans au Danemark, ses voyages, son amour de la littérature classique, l’école du cirque, son retour en Bourgogne, son apprentissage du shiatsu…P.Serre

Près de la fenêtre, sagement rangés sur une table, tubes de peinture, palette, couteau et pinceaux attendent la main de l’artiste. Au pied de l’œuvre en cours, quelques discrètes taches de couleur tombées au sol, sur un papier, font deviner le travail interrompu. Une petite pièce contigüe conserve quelques toiles de Pascale Serre.P.Serre2

Le regard effleure le reste de la grande pièce principale. Ici et là, un crâne, une poupée démembrée, des bijoux joliment accrochés (« exposés »!) en plusieurs endroits, une petite sculpture d’un ami céramiste, des livres etc.

Chez la brune et souriante Pascale Serre, l’ambiance est feutrée, chaleureuse et un brin magique…

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Maxime Frairot, La Source

En février 2015, l’artiste Maxime Frairot a accroché ses « Portraits de famille » aux cimaises de la Galerie La Source (Fontaine les Dijon, du mercredi au dimanche 15h30-18h30).

Drôle d’humanité! Humanité drôle! Maxime Frairot peint des hommes, des femmes et des enfants tout de guingois, aux crânes difformes, aux membres atrophiés, aux yeux démesurés, décalés et asymétriques, aux habits ringards (on croirait les Deschiens!)… Des personnages qui nous font face, qui nous fixent de leurs yeux énormes (passés à la loupe!!),  qui semblent poser pour des photos de famille, qui attendent on ne sait quoi, souvent figés, serrés les uns contre les autres…MFrairot1

On hésite, en les regardant, entre le fou-rire et l’angoisse. Ils sont impressionnants, ça c’est sûr. Et attachants, finalement! Ils intriguent. Ils gênent ou attirent.  Sont-ils étonnés, apeurés, indifférents, soumis, timides, curieux, attentifs…? Énigmatiques, oui!

En tout cas, c’est un travail intéressant. Qui pourrait se rapprocher de l’art singulier (art brut).  Intéressants ce graphisme très particulier autour des yeux, ce patchwork de couleurs et de dessins utilisé pour les vêtements (petites fleurs, petits pois, carreaux, rayures… ) que l’on croirait parfois découpages et collages mais qui n’en sont pas toujours, ce mélange habile de techniques fusain, pastel, crayon de couleur, acrylique, huile, ces accumulations qui communiquent toute leur force aux toiles, ce côté catalogue… Peut-être également un caractère BD ou dessin humoristique.MFrairot2

Il y a une audace, une liberté, une inventivité, chez cet artiste , qui sont plutôt sympas.  Il s’évertue à dire qu’il n’a pas de message à transmettre.  Qu’il n’est qu’un peintre qui s’amuse.  Certes.  On le croit.  Mais on ne peut s’empêcher de penser caricature (de quoi? de qui? de nous?), de penser vision personnelle sortie d’une imagination fertile, assortie d’un humour décalé tout à fait savoureux, de penser observation fine de nos concitoyens:   la maigriotte, la bien en chair, la vieille qui essaie de se rajeunir, la toute cassée déhanchée, le monsieur trop cravaté etc.  Bien vu!

On pourrait craindre un attachement à un principe, à un « truc » qui « marche », à un systématisme.  Depuis des années, en effet, Maxime Frairot demeure dans le même style de peinture.  Cependant, à bien y regarder, il y a diversité malgré tout.  Les visages sont ressemblants, certes, mais tous différents!  Et puis, les formats sont variés, et de temps à autre, l’évolution de l’artiste se fait sentir (voir la toile à droite en entrant dans la Galerie).

Cliquer sur les visuels pour agrandir, en deux fois       Lire aussi un texte que j’avais écrit en 2011, librement inspiré par l’œuvre de Maxime Frairot, en catégorie  « Textes en résonance »  sur ce blog.    https://www.doudonleblog.fr/category/textes-en-resonnance/

Jérôme Tanon, Annecy

Découverte, ce week-end de janvier 2015, dans une Galerie de Chamonix, « MB Factory », un artiste-photographe qui vaut qu’on s’intéresse à lui. Jérôme Tanon. Il habite Annecy.

Passionné de snowboard, qu’il a pratiqué lui-même, il court le monde pour photographier ses héros les riders dans la poudreuse. Il s’est spécialisé dans ce style d’images très fortes, spectaculaires, difficiles à prendre … Il est doué…

Mais c’est son autre travail d’artiste qui m’a fait dresser l’oreille et l’oeil … Sympa, la responsable de cette Galerie, qui nous l’a expliqué     http://www.mbfactory.fr/#

Un boulot long, minutieux et très étonnant…J’ai adoré le principe. Une vieille technique pratiquement disparue, que Jérôme Tanon a retrouvée tout seul.  Il s’agit de tirages en bromoils.  En gros, si j’ai à peu près compris:  la photo argentique est d’abord blanchie dans un bain chimique.  Elle disparait.  Attente du séchage.  Puis, réhumification.  L’artiste passe alors au pinceau une encre à l’huile.  Avec un second pinceau, il tapote pour reprendre un peu d’encre.  Opération à recommencer plusieurs fois.  Peu à peu….la photo réapparaît!

Bien entendu, les photos choisies par Jérôme Tanon sont des photos de snowboarders célèbres et talentueux.  Le résultat obtenu est beau:  quelque chose comme une ancienne photo sépia.  Mais avec une épuration de l’image.  Une métamorphose:  ça me fait penser à un souvenir oublié,  qui se présenterait à nouveau un jour, n’ayant conservé que l’essentiel de l’émotion.  Une plongée au profond de la mémoire.  Une réminiscence de quelque chose qui est passé devant nos yeux, qu’on a à peine imprimé mais qui a laissé une trace inconsciente.

L’histoire que l’artiste prend le risque d’effacer d’abord le tirage argentique  pour , ensuite,  le faire réapparaître est fascinante!

je n’ai pas de photo, allez voir le site de Jérôme Tanon ou sur FB

https://www.facebook.com/jerometanon

WELCOME

jean matrot, galerie la source

« Lumières quotidiennes » l’exposition du peintre Jean Matrot à la Galerie La Source (Fontaine les Dijon) en février 2015.

Le public est content! « Enfin du figuratif à La Source! Enfin une belle exposition! »  Tant mieux pour ces visiteurs qui y trouvent leur compte.  Pensez donc!  Des vues de Dijon, des portraits… Le bonheur!  On n’est pas perdu au moins!

Mais rassurez-vous, malgré mon ton sarcastique, je ne vais pas, pour autant, dire de mal de cet artiste.Matrot2

Vous savez que l’art, pour moi, a bien d’autres chats à fouetter que de reproduire la réalité… En conséquence, tout ce qui est gentille représentation d’un paysage, sans autre projet, sans autre démarche me laisse froide (et triste).

Ici, avec Jean Matrot, je vois un réalisme un peu étrange, et ça me convient!  Là où certains visiteurs critiquent une certaine immobilité, une certaine froideur dans ses toiles, moi je vois une vision personnelle de l’artiste.  Celui-ci compose un univers à partir du réel.  Son propre univers.  Qui correspond à lui.  Ce sont bien sûr des petites scènes très françaises (rues et places de Dijon, enfants et parents au jardin public, vues d’un marché, baigneurs au bord de l’eau, poubelle et mobylette dans un coin de la ville, consommateurs au comptoir d’un bar…). Du quotidien, du banal, du concret, du connu… Rendu avec un caractère presque photographique (cadrages, effets d’éclairages, mises en scène, usage des lignes obliques…).  Mais…Matrot3

Les personnages de ces scènes sont anonymes, au point, à la limite, d’être  des ectoplasmes.  D’ailleurs, parfois, il y a même absence d’êtres humains.  Le vrai personnage, c’est la lumière.  Jean Matrot la travaille avec soin.  Il y tient.  Et c’est elle qui crée le tableau, en lui communiquant un  climat particulier, un caractère irréel, une illusion de réalité…D’où vient cette énigmatique lumière? Qui fait tant de belles ombres, qui blanchit les choses, qui éblouit pour mieux assombrir, qui fait flasher les reflets dans vitres, verres et lunettes? Aurait-elle arrêter le temps, figer le monde?

Je n’oserais pas trop dire que cet artiste se rapproche du naturalisme très particulier de Hopper… Mais on y pense quand même!

Restent les portraits… C’est autre chose. Au premier étage de la Galerie, ils impressionnent par leur très grand format et leur réalisme exacerbé.  Une belle réussite technique. Et cette fois, ces personnages-là sont bien présents. Celui qui vous regarde du fond du couloir (belle perspective grâce à la disposition si géniale des espaces de cette Galerie) …C’est saisissant!.  A voir, l’autoportrait de l’artiste! Qui vous guette justement lui aussi au fond du couloir! (ce n’est pas la photo ci-contre)Matrot

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zhu hong, musée des beaux arts

Janvier 2015: au musée des Beaux Arts de Dijon:  l’exposition « d’un salon à l’autre » de Zhu Hong…C’était à voir.

J’avais découvert le travail de cette artiste plasticienne, Zhu Hong,  à Talant en 2010.  Et déjà j’avais été très intéressée par le regard qu’elle porte sur l’art, par les questions qu’elle pose à son propos, tout en délicatesse, en suggestions, comme à voix basse.

« Dans le musée » (série de l’artiste montrée dans la première salle de cette expo dijonnaise), on voit, peints par Zhu Hong,  des morceaux de tableaux ou de cadres, la chaise d’un gardien, une caméra de surveillance, un visage de visiteur devant une oeuvre, un infime détail de peinture, un cartel… Parfois, le mur ou le parquet occupe davantage de place sur la toile que le sujet lui-même! Humour? Peut-être.  Mais en tout cas une sacrée vérité sur ce que notre oeil (notre cerveau) peut percevoir et retenir d’une balade au musée!ZhuHongBA

Ce regard décalé de Zhu Hong pourrait être celui d’un photographe:  contreplongée, zoom, coup d’oeil personnel…

C’est un peu notre rapport aux oeuvres d’art anciennes qui est finement analysé ici,  sous formes de fragments de souvenirs, d’images balayées, d’attentions détournées et, soudain, d’arrêts sur image….

La palette de l’artiste est extraordinairement pâle et douce, tout en teintes pastel, en couleurs voilées, assourdies… Des beiges rosés, des gris clairs, des blancs bleutés… Dans sa série des mains (« de la main à la main ») les dessins (mains extraites de peintures célèbres, de Dürer à Michel Ange) sont à peine perceptibles. Il faut s’approcher, attendre, laisser venir l’image. Et, comme arrivée des lointains de la mémoire, elle nous parvient enfin. Avec Zhu Hong, on est toujours entre visible et invisible, entre flou et net, entre réel et illusion.

N’oubliez pas de regarder son petit livre d’artiste, au format carte postale: « Villa des délices ».  Les dessins précis sur papier calque viennent s’appliquer sur des taches d’encre diluée, donnant l’impression qu’ils se délitent, s’effacent peu à peu, s’évanouissent.

Je pourrais encore parler de sa façon d’organiser son exposition: petits formats disposés comme les fragments d’un puzzle, longue toile étroite posée au sol et appuyée au mur (comme avant un accrochage), série de petits cadres, impressions numériques collées au mur pour recréer l’image d’un salon XVIIIème (salon Gaulin), tableaux sur le thème de la fenêtre cachés dans une petite salle où l’on pénètre après avoir poussé un rideau blanc   etc.ZhuHongBA2

Je pourrais encore parler de ce travail d’artiste contemporaine fin, précis, documenté, recherché, élégant, signifiant…

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Mattieu Cheneby, La Source

A la Galerie La Source, Fontaine-lès-Dijon, une expo de photos était à voir en décembre 2014: Matthieu Chèneby et sa « Nature morte? »

On a tendance à toujours vouloir rapprocher photo et peinture! Devant une peinture: « C’est beau! On croirait une photo! ». Devant une photo: « C’est beau! On dirait une peinture! » Comme si les deux arts ne pouvaient pas vivre leur existence propre! Certes, au départ, ils ont la même raison d’être: rendre la réalité. Et en garder le souvenir.

Mais, franchement, l’art (peinture, photo ou autre !) est bien autre chose qu’une reproduction de la réalité; ça part de là, ok, mais ça va plus loin, ça remanie, ça bouscule, ça révèle, ça invente.

A propos de cette expo de Matthieu Chèneby, voici une ou deux de mes remarques:

Sa série « Infrarouge »:  L’objet, on le reconnait. Ampoule, cornet de frites, appareil photo etc. Et pourtant, il n’est plus l’objet connu. Avalé par le décor. Figé dans une matière. Coulé, moulé dans une couleur (un monochrome rouge étonnant). Il n’existe plus. Il pourrait être une sculpture. Il pourrait être une peinture. Il a quitté ce monde. Entré dans un autre univers. Et tous ces objets choisis par Matthieu Chèneby deviennent anonymes, et même presque homonymes!  Ont tendance à perdre leur identité.

Sa série « Melancholia »: Une belle mise en valeur du noir. Eclaboussures. Reflets. Déchirures de noir. Petites failles blanches. Clapotis d’argent. Des poésies en noir et blanc. Et présentées comme des calligraphies asiatiques.

Sa série « United Colors »: Un travail de photographe sur la couleur. A la recherche de sa chair, de sa musique, de ses rapports à la lumière, de ses profondeurs, de ses fusions…

allez voir son site:  matthieu-cheneby.com

 

Benvinda Miguens Velez, « Entrée Libre »

L‘espace « Entrée Libre » de la Caisse d’Épargne, à Dijon, rond point de la Nation, recevait l’artiste Benvinda Miguens Velez en février 2015.

J’aime ceux de ses personnages qui nous tournent le dos, qui partent au loin, happés par le décor qui les dévore peu à peu. Ils sont déjà dans leur propre avenir. On reste là, un peu idiots, à les voir s’éloigner vers une destinée qui ne nous regarde plus. Ces toiles de la série que Benvinda Miguens nomme ses « foules » ont donc un sujet intéressant. Mais pas seulement. Elles ont aussi des fonds très travaillés: des supports où apparaissent parfois des matières comme sable ou gaze, des encres colorées, des peintures très diluées ou des pâtes épaisses…Le tout avec une palette discrètement joyeuse, tout en finesse. L’artiste peint ses toiles posées à plat par terre. Elle est à genoux devant elles!Benvinda

Elle complète ce travail par des sculptures en raku, dont certaines évoquent également des foules. Personnages à petites têtes, filiformes, serrés en un seul bloc…

Autre face de son travail: des images féminines. Longilignes. Peinture ou raku. Elle en appelle certaines des « femmes hirondelles », comme posées sur leur fil… avec des robes à traines qui n’en finissent plus (et des bras, aussi!). En fait, c’est la ligne qui prolonge. Celle que l’on retrouve dans l’ombre si longue des silhouettes évanescentes des « foules ». C’est peut-être le fil qui relie l’humain à la terre…Une sorte de racine qu’il a de la peine à arracher. En tout cas, c’est très « graphique ».Benvinda2

Vous verrez aussi de belles encres en noir et blanc. Toujours sur son sujet préféré, l’être humain.

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Madina, passion-calligraphie

Elle habite une petite maison de village, dans une commune bourguignonne. Tout sourire, elle est déjà à la porte, dans le brouillard de ce mois de novembre pour nous accueillir. A peine installés dans la cuisine, on comprend très vite que la petite dame ne va pas nous parler longtemps du salpêtre de ses murs ni des odeurs de fuel dans l’entrée…On va vite s’élever au-dessus de tout ça!  Car, ici, petite maison mais grande passion!

Madina nous a sorti tout le matériel du calligraphe. En direct du quartier chinois de Paris -et donc de Pékin- voici l’encre, les feuilles de papier de riz, les pinceaux, la cire, le sceau…On touche, on hume, on s’essaie à quelques traits sur du papier effaceur…Pendant ce temps, Madina explique les rituels, les différentes écritures, l’ordre et le sens des phrases, les significations de certains idéogrammes, le marouflage… L’une de nous ose un timide « on est dans un autre monde! » . Et c’est vrai que la pièce exigüe et encombrée se fait oublier! Les objets posés là, devant nous, sont si beaux. Les mots chinois si chantants. Les signes calligraphiés d’une telle élégance raffinée. Les traductions si poétiques.

On sent que Madina voudrait nous en dire tant et tant. Encore et encore. Son enthousiasme est communicatif. Mais il est temps de passer au salon. On laisse donc la toile cirée, les boîtes de conserve, la bouilloire qui siffle et le buffet de cuisine où sont punaisées des calligraphies sur feuilles de bottin (des brouillons sans doute, mais du plus bel effet!).madina2

La pièce qui nous attend a tout du capharnaüm chaleureux…Ce n’est pas du fouillis. C’est une plénitude. Entre tapis, plaids, coussins, piles de livres, bibelots, cadres rangés au sol, meubles et lampes, on se faufile jusqu’à la cheminée. Sur le manteau, des foules d’objets cohabitent comme ils peuvent, souvenirs chinois pour la plupart. Dans le foyer, en guise de bois…de multiples œuvres de Madina sont sagement rangées dans des cartons. Et puis, le long de l’escalier, sur chaque marche, elle nous invite à regarder également dessins, photos et calligraphies. Son travail d’artiste.madina1

Sur un chevalet, derrière le canapé, trônent les cadeaux du « maître », son maître chinois de calligraphie. Belle énergie du geste dans ces graphismes…

Près de trois heures après, on repasse par la cuisine pour prendre congés.  On regarde à nouveau quelques feuilles amassées sur la table. Et, décidément, on aime quand Madina fait ce qu’elle appelle « de l’art plastique », c’est à dire qu’elle se permet de marier la rigueur de la tradition de la calligraphie chinoise à ses propres initiatives créatives. (précisons que Madina est française, ancienne prof d’art plastique et qu’elle est tombée amoureuse de la calligraphie chinoise par hasard, lors d’un voyage à Pékin)madina3cliquer sur les photos pour agrandir, en deux fois

Roberto Cuoghi, Consortium

Des trois expositions du Consortium, proposées fin 2014, je ne retiens que celle de l’artiste italien Roberto Cuoghi;

Pour une fois, je n’avais pas du tout potassé ma visite! Je n’avais aucune idée de ce que j’allais voir. « Pas mal aussi de se laisser parfois surprendre! » m’a dit l’un des gentils jeunes médiateurs de l’accueil!

Eh! Ben! oui! Surprise! La première salle, à gauche en entrant, contient une sculpture géante, éclairée du haut, d’où les ombres intéressantes au sol… Une sorte de gros mollusque… Un ver monstrueux comme sorti d’une science fiction genre Dune… Impressionnante masse grise, comme dentelée, annelée, faite d’une matière indéfinissable que l’on croit molle… On ose toucher du bout du doigt, persuadée que la bête va frémir! C’est dur et rugueux. Bon! En sortant de la salle, on se retourne pour jeter un dernier coup d’oeil…La chose nous regarde! Oui! Soudain on a l’impression de voir un vague visage se former au centre d’un anneau…cuoghi1

Les salles suivantes montrent d’autres volumes dans le même esprit que la première. Des variations d’êtres hybrides, de diables, de formes organiques mystérieuses. Ici, peut-être, une tête de lion, là un sabot de cheval, une tête de bélier, là encore des écailles, une crête de volatile, des doigts humains, une queue de poisson… Et autant de matériaux surprenants. Quelque chose qui ressemble à de la pierre rongée par les intempéries, ou de la bave, ou du bois (ah! si! c’est réellement du bois cette fois!), ou du métal lourd, ou du ciment, ou de l’éponge, ou de la corde (ah! si! c’est bien de la ficelle collée!). Roberto Cuoghi sait surprendre, créer l’illusion et troubler!cuoghi2

On évolue dans un univers étrange de créatures (ou de morceaux de créatures) sorties d’un imaginaire très riche. C’est puissant. Souvent beau. Et ça laisse perplexe. Je dirais que c’est presque intimidant.

Renseignements pris…

Roberto Cuoghi est obsédé par l’idée de métamorphose. Thèmes récurrents chez lui: la transformation, les identités hybrides. Et il est allé au bout de ses idées, puisqu’il a testé lui-même. En effet, à 25 ans, il est peu à peu devenu vraiment un homme âgé, à l’image de son père. (Il paraît qu’il a eu toutes les peines du monde à retrouver son physique de jeune homme trois ans après!)

Un jour, le voilà passionné par la civilisation assyrienne (Babylone) et, entre autre, il choisit de s’intéresser à la divinité Pazuzu. Il s’agit du roi des démons du vent (environ 612 avant notre ère). Son apparence est assez terrifiante, mais, en fait, il est souvent représenté sur des amulettes car son rôle est protecteur. Il fait peur aux forces diaboliques néfastes et protège ainsi les enfants et les femmes enceintes en particulier. Au Louvre est conservée une petite statuette de Pazuzu que l’artiste a reproduite plusieurs fois en monumentale sculpture (non présentes ici), après en avoir fait un scan laser 3D. Ici, au Consortium, il présente ses recherches sur les diverses incarnations et facettes du démon en question. Car c’est ce qui le passionne: son pouvoir de se modifier à volonté, de se manifester sous la forme d’un homme ailé, avec queue de scorpion et cornes de bélier… ou autres !…cuoghi3

Des dessins et sérigraphies représentant Pazuzu complètent cette expo de sculptures.

Il fallait voir cet étonnant décorticage de démon!

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Le couple Lepoivre, Galerie La Source

lepoivreS3Christiane et François Lepoivre ont exposé à la Galerie La Source de Fontaine-lès-Dijon en novembre 2014.  Je transferts ici la présentation que j’ai faite :

« Cela ne vous a pas échappé, cette exposition a pour thème unique LE CORPS. Corps humain et corps animal (cf salle du cheval). Vaste programme ! Depuis des lustres la représentation du corps est essentielle dans l’art, c’est l’un des thèmes les plus traités et reste aujourd’hui le champ de prédilection des artistes.
POURQUOI le corps ?

Le corps intéresse l’artiste pour plusieurs raisons.
– L’ESTHETIQUE bien sûr. La plastique. Le corps humain est une vraie mine ! De lignes, d’ombres, de plis et replis, de volumes, de formes, de rondeurs, d’angles, de courbes…
– La SENSUALITE aussi. Des émotions physiques peuvent passer seulement par le rendu d’une chair, d’une peau, d’une silhouette, d’un geste…
– Expression du MOUVEMENT également, de l’énergie vitale. Oui la vie. Exprimer le corps c’est exprimer la vie dans ce qu’elle a de plus mystérieux et précieux.

Faire une exposition sur le corps. Sacrée gageure donc!
Mais François Lepoivre et son épouse Christiane s’en sortent plutôt bien !

( )
J’ouvre une parenthèse à propos de Christiane Lepoivre. Vous avez vu sur le carton ou les affiches le seul nom de François Lepoivre. Mais ça nous a paru impossible, après coup, de dissocier les deux. Si bien que deux salles sont réservées au travail de madame !
Leur cheminement ne fait qu’un. Mêmes ateliers, mêmes professeurs, mêmes recherches,  expérimentations, essais…Ils échangent leurs idées… Même passion… Beaucoup de points communs… Et cependant, bien sûr, en partant des mêmes bases, chacun vit son expérience artistique avec sa propre personnalité, sa propre sensibilité. (Et puis il y a un homme et une femme…Et ce n’est pas tout à fait la même chose, n’est-ce pas!)

Sachez que Christiane signe CKL Marchal

Vous l’aurez compris, le titre de l’exposition qu’ils ont choisi s’explique ainsi !…. Corps-accords !

Si vous avez ici un seul thème, vous avez une DIVERSITE incroyable de manières, de moyens, de techniques et d’expressions..  Ces artistes explorent.
Leur vie d’artiste est une aventure toujours renouvelée. Une quête. Il y a chez eux un grand enthousiasme dans le travail, une espèce d’élan, de marche en avant qui fait du bien à regarder. Une curiosité incessante.

.. Et c’est ça qui est intéressant chez eux, c’est L’EXPLORATION.

L’art possède inévitablement, je crois, ce caractère EXPERIMENTAL continuel. Cette recherche éternelle.
Tous deux sont très variés dans leur traduction du corps, ce qui ne veut pas dire hétérogénéité. Car ils suivent leur fil conducteur. Ils ont une ligne de conduite.lepoivreS

VARIES :
Il y a là des dessins au tracé rapide, des monotypes, des peintures au pinceau vif et aux couleurs audacieuses, jetées d’un geste dynamique, comme du fauvisme, des représentations réalistes et des abstractions énergiques, des gouaches , des acryliques, des encres, des peintures à la cire, des pastels tendres et même des collages (madame).CKL2
Mais encore… des sculptures de personnages filiformes à la Giacometti (où demeure la trace des doigts du sculpteur, comme si la naissance était en train de se faire…comme si le créateur animait la matière devant nous) et puis, des sculptures lisses de petits personnages rondouillards danseurs ou gymnastes (comme des Bruegel dans ses fêtes au village ) à la patine colorée du plus bel effet…
(François Lepoivre sait exagérer les formes, les lignes, et c’est bien ! Il faut souvent DEFORMER POUR MIEUX EXPRIMER!)
Et aussi des sculptures qui dialoguent avec des bois flottés, sortes de duos que chorégraphie admirablement Christiane Lepoivre. Des « questions-réponses », comme elle dit fort justement elle-même.CKL

Il ressort de tout cela une impression de mouvement, de VIVACITE, de dynamisme, d’enthousiasme…

Dans cette exposition, ça bouge ! Ça vibre ! Ça danse ! Ça sourit !

En fait, le plus souvent, dans dessins et peintures, le corps représenté est statique (modèle nu, très académique, très cours d’atelier) mais ce qui bouge c’est la couleur ! Le fond ! Ou le trait ! Quand l’artiste rehausse par exemple les contours d’une ligne blanche, de-ci de-là, cela communique du relief et de la vie. Une sorte de circulation, de flux qui font PALPITER le tableau.
Il arrive que le corps perde même de son importance, tant le geste pictural, le jeu des matières et des teintes prend le dessus…
On peut presque oublier le sujet « corps », qui deviendrait un prétexte à un pur plaisir d’artiste… « lepoivreS2