Hiver 2018. Au musée Picasso, à Paris, c’est une année qui était exposée! L’année 1932 . Le visiteur suivait l’agenda de Picasso, en quelque sorte. De mois en mois. Le musée jouait le jeu jusqu’au bout puisque non seulement peintures et dessins réalisés cette année-là étaient présentés, mais aussi documents d’archives relatant en détail la vie de l’artiste (jusqu’aux tickets d’entrée, aux factures, aux articles de journaux, photos ou courriers divers!!) . Autant vous dire que j’ai vite abandonné le côté archives administratives de Picasso pour m’attarder plutôt sur son oeuvre!
L’intérêt, tout de même, c’est de mieux détecter les liens entre vie et création. Et, justement en 1932, Picasso est très attaché à sa nouvelle maîtresse, Marie-Thérèse! Sa vie et son art s’en ressentent! D’où le sous-titre de l’expo: « année érotique ».
nu couché à la mèche blonde
Beaucoup de femmes nues couchées, donc. (Repérez le pénis caché dans le tableau « le rêve »! C’est drôle!). Quelques dessins érotiques, mais en petits nombres. Ne vous attendez pas à du très chaud, quand même! Le titre de l’expo est un peu racoleur, mais bon! D’autres sujets sont abordés, paysages, crucifixions, natures mortes etc.
Pour les toiles sensuelles, on est dans les formes rondes et douces, et souvent dans les teintes claires et pastel. On admire comme toujours le trait sûr et économe de l’artiste. On suit du regard le « montage » des fragments d’un corps harmonieusement répartis malgré la déconstruction. On note l’élément important, celui qui est placé au bon endroit pour que notre oeil soit attiré: une chevelure, un sein ou un ventre. On remarque l’utilisation efficace (et belle) de la couleur, aussi significative que le trait. Et puis, parfois, abandon du décloisonné et juste des aplats…Bien sûr, Picasso ne s’attarde pas sur un seul genre!
Une série étonnante et passionnante m’a retenue un moment dans une des salles. Celle des études pour La Crucifixion, d’après Grünewald. Des dessins plume et pinceau, en noir et blanc, qui cherchent, qui déforment et reforment, qui cassent, qui éliminent ou exagèrent. Le tragique et la souffrance semblent tellement mieux exprimés par ces corps éclatés, déchirés, réduits à des cris…que par le pathos faussement réaliste de la toile originale (retable du XVIème siècle)
L’expo est bonne. Surtout pour la rareté de ce qu’elle présente. Une majorité d’oeuvres est méconnue ou inconnue. J’ai adoré les « études », en particulier. Où l’on voit les tâtonnements de Picasso, le travail de labo, presque!
études:jeune fille assoupie
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La prochaine expo du Consortium s’ouvrira le 2 février 2018! J’ai vu l’autre… l’avant-dernier jour! Il était temps! Un mot quand même dans ce blog? Allez! Pour dire mon petit plaisir devant quelques peintures!
Peter Schuyff exposé, une rareté (je ne le connaissais pas évidemment). Pas toutes jeunes, ces peintures! Les années 80. Intéressant travail sur de grandes toiles. En particulier des grilles géométriques au crayon et, par dessus, des dégradés subtiles de couleurs qui donnent de spectaculaires effets de lumière. Parfois aussi des effets de profondeur, même si le côté surface plane de la toile est tout le temps mis en évidence. Comme si l’artiste ne voulait pas que l’on oublie cette réalité: le terrain sur lequel le peintre joue est bien plan et bien plat! Et lui seul, le peintre, peut donner des illusions de volume, de dimensions. En tout cas, je crois que les jeux optiques ne se démodent pas.
Tobias Pils: ce noir et blanc, ces destructurations ( style cubisme), ces scènes de vie pure émotion, ces images intérieures mystérieuses… J’ai aimé.
Michael Williams: un caractère souvent « cartoonesque » avec des personnages bien colorés genre BD, un flou qui auréole ses motifs (peintures ou impressions sur toile?), des abstractions qui évoquent les oeuvres de street art les plus dérangées… J’ai moins accroché que pour l’artiste précédent (son ami, avec qui il expose et crée même oeuvres communes parfois, cf ci-dessous)
Wang Du: dommage que je n’ai pas vu son installation au complet en 2000 (ici ce n’est qu’un extrait des 15 sculptures originales), ce devait être stupéfiant! « Réalités jetables » ce sont des objets ou des êtres, géants, suspendus hauts au-dessus de vous… Impressionnant. Violent. Par la taille, par la présence dérangeante. Des images de magazines qui ont pris forme et flottent dans une immatérialité de cauchemar.
Marina Faust: des portraits collages. L’artiste part de jeux pour enfants où l’on doit compléter un visage sans yeux ni bouche. Bonne idée. Ces fragments d’images déchirés qui recomposent un visage morcelé, bonne idée aussi. Mais résultats un peu simplistes.
Nicolas Ceccaldi: grotesque! on en rigole comme d’un moche film d’horreur! Du gothique de pacotille. (Mais c’est peut-être voulu…)
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Quand je peux, je vais voir l’exposition annuelle des finalistes du Prix Marcel Duchamp, au Centre Pompidou. Me tenir au courant des dernières nouveautés de l’art contemporain et constater sur quels critères les meilleurs artistes sont aujourd’hui choisis.
Cette année 2017 s’achevait, le lauréat était connu depuis deux mois déjà! Mais… je ne le savais pas! Je suis allée voir l’expo des 4 finalistes et…je suis très contente (et fière!) d’avoir préféré de loin le travail de Joana Hadjithomas et Khali Joreige, qui s’avéraient être les gagnants!
L’installation de ces Libanais s’intitule « Discordances/Uncomformities » (dans la lignée de leurs travaux précédents). Le visiteur circule entre de grands tubes en verre, dressés à la verticale, fixés au plafond et au sol par de fins câbles de métal. Comme des tubes à essai. D’où la sensation d’être dans un laboratoire. A l’intérieur de ces éprouvettes géantes ont été reconstitués les empilements de prélèvements réalisés par carottages. Ces derniers ont été effectués lors de gros travaux à Beyrouth, Athènes et Paris.On a donc là, à hauteur de nos yeux, les strates de l’histoire de ces villes. Terre, cailloux et débris divers racontent la chronologie des temps passés. L’Anthropocène, essentiellement. C’est à dire les époques où l’intervention humaine s’est mise à agir sur l’environnement.
Aux murs de la salle, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige présentent aussi des relevés stratigraphiques. Des photos allongées de ces fameuses « carottes », à l’horizontale. En parallèle, des dessins précis reproduisant ces entassements de morceaux d’histoire. Et, enfin, des notes manuscrites expliquant le pourquoi et le comment de ces présences anciennes dans le sous-sol (« fragments d’amphore, silex taillés » ou « vestiges d’un aqueduc romain » ou « offrandes et bouteilles de parfum » ou « tsunami de 551 après JC » etc)
Un film sur grand écran, complète le tout – son à l’appui- montrant l’ampleur des travaux de déconstruction et reconstruction, la façon de faire des carottes etc.
Tout y est! Cette oeuvre possède une « épaisseur » extraordinaire (comme ça arrive de temps en temps en art contemporain!). Elle mêle le côté recherche scientifique, réflexions politiques et sociales, études historiques. Esthétique également. Oui, les superpositions d’éléments, à l’intérieur des tubes, derrière le verre qui déforme quelque peu la vision …c’est beau!
Jusqu’au 8 janvier 2018
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Le Centre Pompidou, à Paris, expose Derain jusqu’au 29 janvier. Bien que ce peintre ne représente pas une passion pour moi, je choisis d’évoquer cette expo pour ce mois-ci, car j’ai trouvé intéressant de suivre son cheminement un peu chaotique au travers de ceux des artistes de son époque.
Déjà, il me plaît bien que André Derain, avec quelques autres collègues de son temps, aient été traités de fous! Leur folie constituant sans doute à donner une vision anti conventionnelle du réel. Dire par la couleur. Et quelle couleur! Casser les lignes. Simplifier les formes. Fausser les perceptives. C’était une période passionnante, où les artistes cherchaient à faire dire autre chose à l’art. Ou, en tout cas, se posaient des questions.
Ensuite, l’étonnement à tout moment le long de la visite…Ah Matisse! Vlaminck! Cézanne!Van Gogh! Braque! Picasso! …Mais non, c’est Derain à chaque fois! Qui a influencé l’autre? Ces liens entre les artistes du moment (souvent ils se fréquentent, certains sont amis) sont captivants. Le jeu, pour nous, peut constituer à détecter les différences et ressemblances! Repérer la patte de chacun sur un même sujet: les « baigneuses » par exemple, sujet traité par Picasso, Matisse et Derain! Ce dernier en donne deux versions (et même plusieurs autres je crois mais pas ici, dans l’expo). Très différentes. L’une (1907) est sculpturale, baignée d’un vert d’eau glauque, exacerbée dans ses couleurs de peau. Une version très fauve. La deuxième (1908) évoque plutôt une fresque de Giotto, aux teintes pâles, aux nus plus alanguis, à la composition plus classique. Difficile d’y voir deux Derain!
Surprenante, donc, cette quête de Derain. Le fauve, le cubiste, les tentations de pointillisme, les références à l’art africain ou à la peinture ancienne et même le photographe. Des changements radicaux. Il part dans tous les sens. Il doute. Il cherche. Ne choisit pas un style pour s’y arrêter. Le visiteur en est mal à l’aise. Quand, après les flamboyants tableaux « fauves », il se retrouve confronté au « Samedi » ou aux « Deux soeurs », il tombe des nues! Derain peint là des scènes raides, sombres, solennelles, troublantes. On pense au Greco. Quel contraste!
« Samedi » (extrait)l
Etrange personnage que ce Derain! Fuyant. Inconnu. Inclassable. Sa rupture avec la peinture (un abandon, un suicide artistique), pendant la seconde Guerre Mondiale, juste après avoir produit une grande toile énigmatique, « L’Age d’Or », va dans le même sens: on ne connaît pas André Derain.
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L’espace d’exposition de La Chartreuse, à Dijon, géré par l’association Itinéraire Singulier, s’appelle l’Hostellerie. (C’est nouveau? Ou je n’avais jamais tilté?). Vous entrez dans le beau parc de La Chartreuse, vous suivez les indications « Puits de Moïse » et vous y êtes. C’est le grand beau bâtiment à votre droite quand vous êtes face à l’entrée du Puits de Moïse. L’hiver 17-18 y était exposé le peintre Jacques Chapiro, de l’Ecole de Paris (ami de Chagalle, entre autre).
Don Quichotte
Ce russe, qui s’est installé en 1925 à La Ruche, lieu d’accueil parisien, quartier Montparnasse, pour artistes nécessiteux, où sont passés aussi Soutine, Chagalle, Modigliani etc, porte en lui ses origines et ses fréquentations. Son travail fait penser tantôt à la Russie elle-même tantôt à Soutine ou Chagalle (Russie aussi!!) Jacques Chapiro, avec ses gouaches sur papier, montre une peinture sympathique, narrative, vivante et colorée. Ses touches de couleur sont plutôt ordonnées, et elles aboutissent à une composition secouée d’ondulations et de vagues (à la Soutine) ou à un agglomérat fantaisiste de figures (à la Chagalle). Une peinture qui raconte. Des légendes, des fables, des rêves…ou la vie quotidienne des ouvriers d’usines. On aime aussi ses dessins. Quelques coups de crayon habiles et sûrs pour un portrait ou un animal.
Ma peinture préférée est « La Ruche » qui évoque ce lieu bourdonnant et créatif sauvé par Chapiro et Chagalle dans les années 60. (Il existe toujours aujourd’hui). Les bâtiments y apparaissent. Et se superposent personnages objets et animaux, illustrant sans doute toutes sortes d’anecdotes vécues là-bas . Le tout dans une naïveté de bon aloi. Le pinceau de l’artiste écrit là l’agitation amicale, turbulente mais féconde qui devait régner à La Ruche. Cliquer sur les visuels pour agrandir, en deux fois
Si on vous disait « c’est un type qui récupère des vieux bouts de fer et en fait des sculptures », il fallait quand même aller à la Galerie La Source, en décembre 2017, découvrir l’exposition de Philippe Simonnet! Voir des objets poétiques et originaux. Ce n’était ni des coqs en clefs vieillies ni des bonhommes en casse-noix. L’expo s’intitulait « Vanités industrielles » et elle valait le détour.
Le « type », donc, est en fait un artiste sensible et discret, passionné d’archéologie. Il collecte des morceaux de fer dans des friches industrielles, ou des ruines ou chez les ferrailleurs. Il les assemble. Et naissent alors sous ses doigts des choses inclassables, qui ont peut-être déjà traversé plusieurs temps. Qui sont peut-être tombées d’une autre planète. Qui possèdent peut-être un pouvoir sorcier. En tout cas, des objets entourés d’une certaine aura.
Parfois, entre végétal et animal, les oeuvres de Philippe Simonnet peuvent séduire par leur élégance. Voici d’étranges fleurs géantes et des buissons de végétaux improbables. Voici des bâtons de procession pour des cérémonies qui n’existent pas encore. (Belle idée d’avoir fixé aux murs blancs ces objets aussi décoratifs que du fer forgé, les ombres qui en découlent sont suggestives)
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Comme le rappelle un commentaire ci-dessous, allez voir le site de l’artiste et sa page facebook
Cet hiver 2017, l’exposition, à la Galerie Alain Margaron, à Paris (5 rue du Perche), consacrée à l’artiste et écrivain Fred Deux, s’intitulait « Une vie sur la table à dessin ». Titre à plusieurs sens.
On comprend que Fred Deux n’a vécu que pour le dessin. On comprend aussi que ses dessins disent toute sa vie et tout son être. Et on comprend enfin que cette table à dessin lui sert (symboliquement) de table chirurgicale, de table de dissection. Physique et psychique. L’encre, la mine de plomb, le graphite ou l’aquarelle fouillent l’anatomie de l’homme. Corps et âme.
Le crayon de Fred Deux pénètre à l’intérieur des corps (de son corps?) et en extrait des fragments. Formes molles, gluantes, sanguinolentes, translucides parfois. Tissus organiques, membranes, viscères, cartilages. Il écarte les peaux, ouvre les cages thoraciques, creuse les cerveaux. Il cherche dans les profondeurs. Il sort les réseaux internes, pour les emmêler ou les démêler. Pour les examiner. Les comprendre.
C’est une introspection.
C’est une quête.
Le dessin de l’artiste mènerait ainsi à la connaissance de l’humain. Le corporel se confondant avec le mental. L’un rendant visible et tangible l’autre. Et aller au bout des choses. Débusquer le pourquoi de la naissance et, par-là même, de la mort. L’une et l’autre sont absolument présentes dans l’œuvre dessinée de l’artiste.
Et puis, sous le crayon de Fred Deux, naissent des êtres étranges. Hybrides. Sortis d’un imaginaire à la Giger (des Alien). Inquiétants. Monstrueux.
extrait
Raconté comme ça, le travail de Fred Deux n’est guère engageant! Et pourtant, on est fasciné. (Je ne parvenais pas à quitter la Galerie! Qui, d’ailleurs, est un très beau lieu, accueillant et chaleureux). Chaque dessin est d’une beauté étonnante. Traits et teintes délicats, retenus, presque en douceur, harmonieux. On pense à des planches anatomiques, précises et belles. Sauf que…le réalisme s’est métamorphosé en une recherche spirituelle.
J’avais découvert Fred Deux à travers seulement deux ou trois dessins vus à l’abbaye d’Auberive en septembre dernier: « Etre en vie et envie d’être ». Et en ce moment, jusqu’à début janvier 2018, une grande expo se déroule à Lyon en son honneur (musée des BA).
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A la Galerie Thaddaeus Ropac du Marais, à Paris, j’ai vu ce mois d’octobre 2017, « The beginning of something else » de Wolfgang Laib, artiste allemand très influencé par l’Inde.
Ce fut étrange, car l’exposition devait me faire entrer dans une sorte de spiritualité. J’attendais cet instant en marchant dans la rue. Je m’y préparais. J’avais hâte d’entrer en méditation.
Badaboum. La grande salle claire et blanche où avaient été déposés 6 gros blocs de granit noir de forme ovoïde… était envahie par un groupe d’étudiants (des Beaux Arts?). Ils étaient assis ou accroupis au sol, carnet et crayon en main. Sacs, écharpes, papiers et manteaux jonchaient le sol. La prof circulait de l’un à l’autre, donnant ses consignes (à voix basse, faut reconnaître) .
Les oeufs cosmiques, les Brahmanda, sensés représenter la création du monde, selon les textes sanskrits, allaient devoir redoubler d’énergie pour m’entraîner dans leur aura positive. Quant à la frise des 28 grands pastels blancs sur papier blanc qui faisaient procession autour des murs, elle avait intérêt à diffuser très fort son aimant d’immatérialité et d’intemporalité…
Bon, restons zen. Ignorons ces gentils jeunes gens. Faisons abstraction. Enjambons les sacs et laissons venir…
Eh ben, ça marche. Peu à peu, l’effet sacré de l’installation s’est imposé à moi. Les lourdes pierres se sont soudain mises en apesanteur. Les dessins à peine visibles sur les feuilles du mur sont sortis lentement de leurs nuées. J’étais bien. Une force douce s’échappait des oeufs noirs. Un souffle impalpable émanait des blancheurs dessinées aux murs.
Pas mal, monsieur Wolfgang Laib … Merci.
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Le blog a passé la Manche! Exceptionnelle expositioncet hiver 2017, à la Royal Academy of Arts du peintre américain Jasper Johns (né en 1930). « Something resembling truth » retraçait 60 ans de carrière. J’avoue que cet artiste m’était inconnu, alors qu’il est une vraie légende, apparemment, au même titre qu’Andy Warhol par exemple (pas grand chose à voir, sinon…). Et il fait aussi partie des artistes les plus chers du monde! (jusqu’à 80 millions de dollars, une de ses œuvres vendues!). Mais il semble qu’en fait, les Américains aient pris ses tableaux représentant leur drapeau comme des emblèmes patriotiques! Erreur! Jasper Johns n’avait pas vraiment cette intention!
Vierge et naïve, je me suis donc plongée dans cette expo sans aucun apriori! Plongée dans l’inconnu. (J’avais bien déjà aperçu quelques uns de ses « flags », mais sans y prêter attention.)
Et je me suis facilement prise au jeu de la découverte.
Les thèmes déclinés à l’infini, ça me plaît. Au départ, des sujets simplistes: drapeaux, cartes de géographie, cibles, chiffres, lettres. « Les choses que l’esprit connaît déjà », dit l’artiste. Sur des dizaines d’années, il a repris inlassablement ces sujets. Une obsession? Non, une belle exploration menée par un artiste dans l’âme.
Devant la toile… on ne voit plus un drapeau ou une carte des Etats Unis, on voit… un tableau. Il y a des déformations, des effacements, des coulures, des accidents, des empâtements… La peinture a gagné. Le dessin, aussi: ainsi ces chiffres dessinés au charbon, de 1 à 9, qui s’empilent, tel un défilement numérique, jusqu’à donner une abstraction, car seuls quelques parties de chiffres se devinent encore, à force d’être superposés. Le résultat est intéressant et beau à la fois. Le sujet, chez Jasper Johns, n’est que prétexte. Il est séparé de sa réalité pour devenir objet pictural.
Jasper Johns, qu’on étiquette facilement peintre dada, intègre parfois des objets à ses toiles, comme Rauschenberg (un temps son amant et compagnon d’atelier): fourchette, balai, tasse. Objets du quotidien, en dérision. L’impression qu’il ne veut surtout pas sacraliser l’art.
Jasper Johns a tendance à avoir une texture sculptée dans ses toiles, avec une peinture à l’encaustique assez épaisse, des inserts d’objets, des rajouts de charnières ou de fils, des écartements qui ouvrent la toile en fente pour voir le mur à l’arrière… Quand même, on sent le peintre, là derrière, toujours. On sent le geste et la matière bien présents. Et, du coup, les œuvres sont non seulement passionnantes pour leur travail de recherche (philosophique?) mais aussi séduisantes par leur valeur esthétique. Même si cela ne représente sans doute pas l’objectif de cet artiste.
Les dernières œuvres (il a aujourd’hui 87 ans) sont plutôt du côté surréaliste. Avec des assemblages d’images. Des compositions autour de ses souvenirs. Il est hanté par les étranges mécanismes de la mémoire. Mais, de toute façon, il n’a jamais lâché ses œuvres antérieures, rebondissant sans cesse dessus, jouant de l’une à l’autre, comme en ricochets. Pour le visiteur ce peut être amusant de distinguer telle ou telle réminiscence d’une toile passée dans une toile plus récente. Donc, que ce soit les séries sur un thème identique ou les rappels incessants des travaux passés, l’œuvre de Jasper Johns s’enroule comme une vague sans fin.
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A Fontaine-lès-Dijon, Galerie La Source, automne 2017, les expositions s’enchaînent et ça tient la route! Cette fois encore, on s’est fait plaisir avec la venue de Françoise Utrel et ses « DéS-éQUILIBRES ».
Tout au long de cette expo, une forme nous suit.
On assiste à ses déformations, à ses métamorphoses. Oui, parfois elle mue. Elle se fait caillou, beaucoup. Mais aussi petit organisme. Ou rocher imposant. Enrubannée parfois, habillée de lanières textiles ou végétales. Emprisonnée parfois, dans un réseau de lianes. Étouffée aussi, au creux des vagues d’un magma tourbillonnant.
Et la forme, quand elle est gros galet, lisse ou rugueux, peut se retrouver suspendue. Empilée avec d’autres. Juste un fil les retient. L’équilibre est improbable. La situation si fragile… Éphémère? On suit tout cela. Étrange voyage initiatique.
Et, en fait, c’est la toile qui donne naissance à cette forme et à ses avatars. Françoise Utrel lui communique une telle matière riche et féconde… Comme une matière primitive, capable d’engendrer des formes de vie. Oui, ce volume qui nous suit depuis le début nait du fond de la toile elle-même.
Et on se dit que les mésaventures de cette « forme » ressemblent décidément bien à nos existences.
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