Après quelques travaux de chauffage et peinture, la Galerie La Source, à Fontaine-lès-Dijon, a rouvert au printemps 2022 pour l’exposition de Patricia de la Gorce, céramiste, et Brigitte Brosset, artiste textile: « De fil en argile ».
Un travail à quatre mains. L’une crée la pièce en terre cuite (raku, émaux…), l’autre crée la pièce tissée (différentes sortes de fils de couleurs variées), qui vient s’intégrer à la première. Les deux matières se marient alors, pour aboutir à l’oeuvre finale.
La terre et le fil apportent chacun son caractère et sa texture. Si différents. Mais si complémentaires. L’alliance des contraires! Parfois le métal entre en jeu également.
Comme les deux artistes sont présentes tout au long de l’exposition, vous pourrez discuter avec elles. Elle parlent volontiers de leurs passions respectives et racontent l’aventure de chaque oeuvre avec enthousiasme. Brigitte Brosset, la céramiste, donne naissance à la première partie de l’oeuvre, après consultation commune sur le projet. Patricia de la Gorce, l’artiste textile, intervient alors directement sur l’objet (qui n’est pas encore complètement abouti, il est encore dans les limbes!!). Elle s’adapte aux teintes délicates et nuancées des émaux, elle cherche l’harmonie dans le choix des fils. Et de ses doigts et de l’aiguille elle va faire éclore l’oeuvre finale.
L’ensemble exposé est agréable pour les yeux. De loin, comme de (tout) près. Très esthétique. Le soin apporté à chaque oeuvre est admirable (je trouverais d’ailleurs cela presque trop propre, rangé, ordonné et un peu raide!!) . L’habile association des deux matières est très intéressante: le lisse- brillant et le rugueux-cotonneux, le dur et le souple, le large et le fin, le plat et le relief…
Bon, ici, il est plutôt question d’artisanat d’art. Mais pourquoi pas? La frontière est si ténue! Derrière ces jolies pièces exposées, je vois un esprit créatif, un sens de la composition, un souci d’harmonie et d’équilibre, une sensibilité aux couleurs etc.
Patricia et Brigitte ne se livrent pas plus que ça. Je ne devine aucune expression de l’intime, aucune traduction de l’indicible… Or, c’est ce que je cherche habituellement dans l’art… « Art, je veux de toi ce qui m’est inaccessible, inaccessible…! »
Dimanche, je suis allée à Gray. Ou plus exactement à Arc-lès-Gray. S’y déroulait le Salon « D’arts d’arts ». Le 7ème du nom (comment avais-je pu loupé ça toutes ces années?) Organisé par le Rotary avec quelques partenaires, cette manifestation regroupe une bonne trentaine d’artistes et se présente comme un « vrai » salon… Chaque exposant bénéficie d’un îlot. Beaucoup mieux que ce que j’ai pu voir ailleurs, ici et là : panneaux grillages et paravents, accrochages disparates, rideaux et nappes de secours, bâches cache-misère, triste promiscuité des oeuvres…
Dans l’ensemble, la qualité était là aussi. Parfois, à la frontière entre artisanat et art, mais pourquoi pas? La diversité également était là. Et il y avait foule. Tant mieux!
Bien sûr, comme je suis (avec l’âge!) de plus en plus difficile et exigeante, je n’ai vraiment accroché que sur une petite dizaine d’artistes. Sans délaisser ni mépriser les autres pour autant!
Voici un échantillon:
Guillaume Martin
Denis Pérez
Danielle Lequin
Jean Rieux
Patricia Goussard
Corinne Déchelette
Habiba Harrabi
Cliquer sur les visuels (c’est important pour voir l’oeuvre en entier) pour agrandir
A Dijon, aux Ateliers Vortex, rue des rotondes, Flora Moscovici a exposé « Revêtement, cicatrices polychromes » au printemps 2022
Profitez de la présence d’une oeuvre de cette jeune artiste parisienne à Dijon. Rendez-vous vite aux Ateliers Vortex. Les couleurs de Flora Moscovici investissent le lieu. Enfilez les protège-chaussures et pénétrez dans cette salle que s’est appropriée l’artiste. Foulez ces flaques de couleur aux doux reflets vaporeux. Vous vous croyez dans un monde virtuel. Les nuées bleutées, rosées, ensoleillées, rougeoyantes couvrent mur et sol. Et tout est changé…
La peinture ici est toute puissante. C’est une entité. On pourrait retirer l’architecture, elle demeurerait malgré tout. A elle toute seule, elle abolit les murs et le sol. Et vous vous laissez imprégner par elle. Vous flottez grâce à elle.
Flora Moscovici réutilise ici des bâches qu’elle avait exposées, verticalement, en extérieur, à Paris, pour une oeuvre géante. Ce sont des fragments. Ils habillent à nouveau un espace (re-vêtement?). Ils redimensionnent cet espace, ils l’éblouissent, le réinventent.
Flora Moscovici est une vraie chercheuse coloriste! Ses jus de peinture valent le déplacement et votre visite!
Le Consortium, 37 rue de Longvic à Dijon, a proposé une exposition de 5 artistes contemporains au printemps 2022.
–Sergej Jensen, artiste danois né en 1973.
Les toiles de Sergej Jensen sont bien des toiles!! Mais elles ne servent pas forcément de support à de la peinture. Il y en a un peu, ici ou là, mais plutôt timide, l’essentiel étant dans les pièces de tissus qui garnissent la surface (encore que la toile brute est parfois également laissée en réserve.)
Provenant, pour la plupart, d’anciennes toiles de l’artiste, laissées pour compte, déchirées, découpées, ces lambeaux s’assemblent tant bien que mal pour former un tableau. Non! Rien à voir avec du patchwork! Les couleurs, les rythmes, les compositions et la destination elle-même sont à mille lieues!
Ces oeuvres de Sergej Jensen ont un goût de nostalgie. A cette époque (l’artiste commence ce travail dans les années 2000), où est passée la peinture? Elle a perdu sa place primordiale en art, dit-on. Ses toiles à lui seraient un rattrapage, un pis aller, ou un geste de dérision, ou même une pauvre moquerie…je ne sais pas. Quand on pénètre dans la salle, on a d’abord, le temps d’un éclair, l’impression d’être devant des peintures…Et puis, on voit les coutures maladroites, les effilochages ratés, les déchirures, les plis, les trous, les lignes bancales et les imperfections diverses. Les teintes sont tristes ou pâles, délavées, lessivées. Une image de pauvreté. De déclin.
C’est un travail qui peut nous atteindre, dans la mesure où l’on sent que cet artiste cherche peut-être à rafistoler la peinture qui se meurt, la récupérer à travers son support lui-même. Tout en montrant que ce sauvetage est dérisoire. On a le droit d’y voir une certaine beauté. Car l’artiste reste artiste et il ne se fiche pas complètement des compositions. Le plaisir esthétique existe, pour moi, dans cette salle, bien évidemment.
–Nathaniel Mary Quinn est un artiste afro-américain né à Chicago il y a une quarantaine d’années.
Depuis quelques temps, sa spécialité est le portrait composite. Un travail de peinture, proche du collage. Avec fusain, gouache, pastel, acrylique etc, il assemble des fragments formant un visage hybride. D’apparence souvent monstrueuse, évoquant parfois les gueules cassées de la première guerre mondiale… Des visages fracturés, déstructurés. On pense aussi à Bacon.
« Chacun de nous est une cacophonie d’expériences » dit Nathaniel Mary Quinn. Il exprimerait donc cet amalgame que constitue chaque vie. Ses portraits seraient ainsi formés de morceaux de mémoire et d’inconscient.
J’ai peur, malgré tout, que cet artiste ait trouvé là un « système » et s’y tienne, montrant beaucoup de brio dans ses réalisations, mais ne cherchant pas plus loin. J’espère me tromper.
–Tursic et Mille, duo d’artistes, nés en 1974, l’une en Serbie, l’autre en France, qui se sont rencontrés à l’école des Beaux Arts de Dijon.
On n’aborde pas le travail d’Ida Tursic et Xilfried Mille comme ça! D’un simple coup d’œil! J’avoue qu’ils m’ont toujours interloquée par leurs provocations, leurs audaces, leur apparent je-m’en-foutisme, leur vulgarité assumée… Cette fois encore, je me suis accrochée aux murs pour rester, et continuer à visiter l’expo! Tant de teintes exagérément flashy, tant de sujets nunuches, tant de mauvais goût, tant de blagues à deux sous, tant de fausses peintures enfantines… J’ai pris le parti d’en rire, me disant que les artistes eux-mêmes, si ça se trouve, se sont bien amusés en créant ces installations.
Certes, Tursic et Mille nous bousculent, brouillent nos pistes habituelles, détrônent des poncifs… Si jamais on découvre, dans une toile, un extrait à la beauté « classique », un visage, un morceau de paysage, ils s’empressent de nous contrarier en lui ajoutant un pioupiou grossier ou un gribouillage mauve du plus vilain effet! Pas question de se laisser aller!
Leurs « shape-paintings » , tableaux-objets, et leurs cadres de tableaux m’ont interpellée, dans la mesure où intervient un artisanat au service de la peinture. Ainsi qu’un souci de changer l’aspect et la présentation traditionnelle des galeries de tableaux. Cadres découpés (nouvelles formes géométriques) et socles travaillés, silhouettes d’arbres ou de chiens taillées dans le bois avant de recevoir une œuvre picturale…
Dans cette expo, pas de pornographie ni d’images de films ou de magazines recyclées par la peinture, travail le plus connu de Tursic et Mille, mais une reprise de ce qui avait été présenté en 2021 au Havre. C’est intitulé « Tenderness ». Autant vous dire que la tendresse, chez moi ne passe pas par les chienchiens, ni par les barbouillis roses, ni par les cartes postales kitsch des années 30!!
Un moment étonnant, dans cette expo: un tapis de pommes pourries et de mégots …en bronze peint! A voir!
–Elizabeth Glaessner, née aux Etats Unis en 1984
Grandes toiles aux couleurs translucides, aux lignes floues, aux formes inconsistantes … Des personnages qu’on dirait constitués de caoutchouc, comme des ballons de baudruche … Des scènes oniriques sorties d’hallucinations …
De transparences en mouvements fluides, de déformations du réel en apparitions planantes, l’oeuvre de Elizabeth Glaessner a suffisamment d’étrangeté pour ne pas me laisser indifférente!
-Je n’ai malheureusement rien à dire à propos de Bertrand Lavier. Son travail ne semble pas me concerner.
Au Cellier de Clairvaux, boulevard de la Trémouille, à Dijon, exposition des peintres Anne Girard (papiers) et Catherine Goursolas (toiles) de l’association Les Inventifs. En février 2022.
De plus en plus, je remarque que paie l’effort des artistes plasticiens pour améliorer l’installation et la présentation de leurs oeuvres, et pour les supports choisis qui « se lâchent » et se diversifient.
Allez au Cellier de Clairvaux voir l’exposition de ces deux peintres! La scénographie qu’elles ont choisie change le regard du visiteur lambda. Pas de routine, des cassures de perspectives, un jeu de volumes et de surfaces… Pratiquement rien d’accroché aux murs. Et très peu d’oeuvres encadrées-vitrées traditionnellement (ouf!)
Voilà! On se balade sur ce parcours avec beaucoup de plaisir.
Anne Girard se plaît à travailler sur et avec le papier. La peinture restant son médium privilégié. Donc… Peindre le papier. Le déchirer en fragments, les coller sur d’autres papiers, repeindre encore, et, au final, composer un ensemble qui tient… Elle aime les assemblages. Collages ou non. Souvent à l’intérieur de petites surfaces. Elle construit. Elle bâtit. Et son pinceau sait évoquer la sensation de la pierre, de la brique, du tissu, du papier, du carton, du verre… Architectures intimes, toujours en limites d’équilibre, toujours solides. La palette est sobre et joliment musicale.
Anne Girard
Anne Girard
Cette exposition trace des lignes géométriques. Avec les deux artistes, on est dans les carrés et les rectangles! Et, avec elles deux, cette exposition est debout! Dans la verticalité! Ainsi, Catherine Goursolas a posé au sol ses toiles, souvent en diptyques, et on les regarde à livre ouvert.
Catherine Goursolas
Catherine Goursolas et ses grandes couleurs, couvrantes et coulantes. Parfois ourlées, en bordure, ici ou là, d’une trouée de ciel plus clair. Son geste pictural et son amour de la couleur sont prodigues. Si d’aventure ils s’égarent dans une éventuelle figuration, l’expression de la couleur l’emporte toujours sur le sujet.
Galerie Valérie Delaunay, à Paris, rue de Montmorency, en janvier-février 2022, le commissaire Yves Sabourin avait mis en place une exposition qui s’intitulait « Médium Textile, suite ».
Le textile comme médium plastique, ce n’est pas nouveau. C’est même très courant aujourd’hui. Mais cette exposition dans une Galerie parisienne est particulièrement séduisante. D’abord par sa variété (14 artistes) et par les habiles mariages entre les pièces. Une expo où l’on suit le fil, et où on ne le perd pas! Intelligemment construite, pas comme une mise en scène, mais comme un poème.
Et pourtant, le geste créatif est si différent d’une oeuvre à l’autre. Entre le travail à la loupe d’un infime fil de soie brodé… et l’assemblage de gros pans de tapisseries anciennes…etc
Dominique Torrente
Ce que j’aime ici, c’est que les cases explosent, les étiquettes et les tiroirs se volatilisent, les frontières temporelles s’effacent. Aussi bien, le fil se fait pinceau ou crayon, le tissage se sculpte, les canevas deviennent des volumes, le macramé et le tricotage sont arts plastiques, la dentelle est en fil de pêche et flotte dans l’espace, les travaux d’aiguille de grand-mère sont expression artistique contemporaine…Les matériaux et les époques se mêlent. Une artiste associe grès et tapisserie, un autre intervient directement sur une tapisserie d’Aubusson du XVIIIème,
Arnaud Cohen
une autre encore augmente la photo en brodant par-dessus…
Isabelle Bisson-Mauduit
Et il y a celle qui redessine des pierres en les habillant de feutre blanc, et celle qui utilise un carnet de croquis pour y suspendre (aux spirales du carnet!) ou y coller ses drôles de petits sujets en mailles.
–Al’espace d’art L’Hostellerie, dans le parc de la Chartreuse, Dijon, une exposition de Mario Chichorro était à voir au printemps 2022
Est-ce que ce sont les pièces d’un puzzle géant qui, une fois assemblées, formeraient une sorte de genèse de l’humanité? Est-ce que c’est une Bible racontée en images? La Bible façon Mario Chichorro?
Aux murs des salles de L’Hostellerie (décidément j’aime de plus en plus ce lieu d’art!) sont accrochées des dizaines de bas-reliefs très colorés. Telles des cellules bourrées de vies. Une foultitude de personnages se serrent dans de petits espaces. Ils se casent dans leurs étroites fenêtres d’existence. Tous les vides sont occupés.
Ces êtres « soumis à aucune loi » (dixit l’artiste lui-même) affichent des visages cabossés, tordus, grimaçants…Parfois, l’un d’eux s’est échappé et a atteint une grande dimension. Mais il devient alors le support d’autres vies. Car Chichorro peint dans les moindres recoins. Toute surface peut accueillir un dessin. Et les scènes se multiplient à l’infini, relevant de fables, de contes, de légendes, de chansons…Comiques, érotiques, mystiques… Tout un univers secret et personnel.
Cette boulimie de couleurs, d’images, de reliefs et cette absolue liberté de l’artiste n’empêchent aucunement une maîtrise, une architecture, une harmonie… Et les sculptures sur pied sont également étranges et merveilleuses!
A la Galerie La Source, à Fontaine-lès-Dijon, Jean Yencesse a proposé une rare exposition en décembre 2021. Intitulée dans un sourire « Eroticet thanatoc, le tic-tac de nos jours ».
C’est peut-être d’abord une certaine ambiance couleurs qui m’enveloppe dès le seuil franchi. Des bleus, des gris. Des teintes profondes, sobres, peu communes. Je fais quelques pas, attirée par des éclats de blanc et auréoles de lumières venus des toiles de Jean Yencesse. Petits espaces radieux au coeur d’un monde difficile. On est entre les Maternités des peintures primitives et l’Enfer de Dante!
Et puis, c’est la rencontre avec ces étranges personnages aux yeux vides, aux bras démesurés, aux corps fragmentés, détachés de la réalité… Ils ne sont pas là pour eux. Ils représentent quelque chose. Et mon émotion en est plus forte. Ils ne sont pas des portraits. Ils incarnent l’amour. L’amour tendre, sexuel, familial, humain. Mais aussi l’amour cruel, brut, diabolique.
Ils sont faits de peu de traits. Parfois une simple ondulation suffit à évoquer un corps féminin. Mais le trait est épais, à la Rouault. Et, comme dans un vitrail, le sujet s’emboîte dans un cercle ou un ovale. Les couples s’enlacent, s’enroulent, fusionnent en une chorégraphie souple et ronde.
Ainsi, de salle en salle, se déploient des scènes de bonheur, de douleur, de mort, de rêve, de cauchemars… La vie.
Au fait! Savez vous qui est Thanatos? (cf le titre de l’expo) . Un dieu grec (mineur) personnifiant la Mort….
Et n’oubliez pas de vous pencher sur les études de Jean Yencesse, dans les vitrines. L’artiste a plus d’un tour dans son sac (céramique, modelage, pliages papiers, photos macro, montages photos, peinture…) Vous n’avez pas tout vu!
La Bibliothèque nationale de France, à Paris, a donné à voir une exposition de Giuseppe Penone, en hiver 2021, « Sève et pensées ».
Arbre-Livre (extrait)
Décidément, j’ai toujours eu des chocs dans les expositions de la BNF! Barcelo en 2016, Kiefer en 2017! Et, cette fois Penone! De grandes forces artistiques et poétiques qui résonnent dans ce lieu du livre et de la connaissance.
Giuseppe Penone continue son travail sur le végétal commencé en 1969. Dans l’immense salle qui lui est consacrée, il présente plusieurs œuvres. Différentes mais qui créent une unité solide.
« Sève et Pensée » (l’œuvre qui a donné le titre à l’expo) : S’allonge un ruban de 30 mètres, une fine toile de lin sur laquelle apparaissent l’empreinte légère d’un tronc d’arbre et une écriture serrée qui l’accompagne. C’est le travail de « frottage » de l’artiste (frotter avec des feuilles le tissu posé sur le bois d’une branche ou d’un tronc). L’arbre laisse sa trace. Délicate, à peine marquée et colorée de vert. Elle est comme imprimée. On pense au principe du Saint-Suaire. Et un long texte l’accompagne, écrit à la main par l’artiste, sans respiration, sans ponctuation. Comme la sève qui coule…Lien entre l’homme et l’arbre. Complicité.
Sève et Pensée (extrait)
« Arbre-Livre » , contre le mur, est une sculpture absolument poignante. De simples poutres sont posées là, comme un livre géant ouvert. Elles ont été creusées par l’artiste et, au cœur de chacune d’elles, apparaît un petit arbre sans écorce, encore lové dans le bois. Comme un bébé-arbre, nu, niché dans l’œuf avant de naître. L’artiste aurait ainsi dévoilé le secret intime de l’arbre…
Arbre-Livre (extrait)
Mais cette impression n’est pas la seule ressentie devant l’œuvre. On peut aussi croire que cette jeune pousse, écorchée vive, a été greffée sur la poutre. Et soudain, l’idée de souffrance et de blessure jaillit. L’homme est intervenu. Il a transformé l’arbre en poutre avec ses outils, il l’a évidée, puis il a déshabillé une branche, la fixant ensuite dans le pli de chaque poutre ouverte… L’image n’est pas la même! Mais une œuvre qui mène à plusieurs réflexions et émotions …ça me plaît!
« Les yeux fermés »: Au mur, une plaque de marbre blanc a été travaillée par l’artiste, de façon à dégager les veines. Étonnamment, ce réseau évoque un arbre et ses branches ou racines. De chaque côté, deux paupières géantes sont dessinées avec de vraies grosses épines d’acacia. Contraste terrifiant entre la fragilité de l’œil et l’agressivité guerrière de l’épine. (On pense à la couronne d’épines du Christ). Là encore, la douleur surgit, malgré la beauté du résultat. Là encore, le regardant est confronté à plusieurs sensations, plusieurs références. J’aime!
Le reste de l’expo est en relation étroite avec ces œuvres.
Dessins, gravures et autres »frottages » (« Vert du bois ») font écho. Une expo qui fait un tout. Partout, en filigrane, on sent l’idée de la trace et de l’empreinte, celle, entre autre, de nos doigts qui se rapproche tellement des anneaux de croissance des arbres…
« A la vie à la mort », c’était l’exposition de Pascale Serre à la Galerie La Source de Fontaine-lès-Dijon. En novembre 2021.
Vous ne le savez pas encore, quand vous traversez le petit jardin de La Source, mais vous vous apprêtez à quitter les réalités de ce monde.
Laissez-vous faire. C’est fascinant. Pascale Serre a les clés des univers que vous allez visiter, tirez la porte de la Galerie et pénétrer dans le premier.
Vous entrez dans « la collection de mes morts », dit-elle. Sur toiles grand format, directement agrafées sur les murs, voici les portraits de tous ceux qu’elle a aimés et qui sont partis. Ils ne sont pas morts (lisez le poème affiché au mur, près du bureau). Ils sont là. Toujours présents au monde. Cette salle vous est douce. Les personnages peints sur un fond sombre (beau noir-bleu-nuit spécial Pascale Serre!) sont un peu rigides, comme s’ils posaient pour la photo, mais auréolés de lumière et accompagnés de leur animal totem.
Ne revenez pas sur Terre… Montez lentement l’escalier. Vous allez passez la seconde porte de votre voyage initiatique. (Le hasard fait bien les choses, vous avez 7 seuils à franchir! Chiffre divin!) A gauche, voici « La ronde des sorcières ». Au sol, le cercle magique. Ce sont les animaux qui le forment: loup, araignée, cerf… Ils sont peints sur tissu. Magnifique. (Pas n’importe quels textiles: des chemises, combinaisons ou jupons de nos grands-mères). Un peu de sorcellerie aussi, bien sûr…Vous verrez!
Puis, arrive la salle qui vous entraîne dans le passé. Celui de l’enfance. Un monde invisible, enfoui, disparu. Et pourtant bien vivant quand quelqu’un le garde en vie. Têtes de poupées, palettes de peintres (revisitées!), peintures et comptines peuplent ces rêves et cauchemars d’enfance. « On n’est pas chez les Bisounours » annonce l’artiste. On est d’accord. Mais, heureusement, l’art ne choisit pas de n’exprimer que les jolies petites fleurs roses de la vie.
Continuez votre chemin. Ici, le corona virus a inspiré Pascale Serre. On se régale de petites aquarelles toutes plus dramatiques, drôlatiques et esthétiques… les unes que les autres.
Vous allez ensuite rencontrer ses petits animaux en terre cuite qui ont tous une âme…. Vous vous arrêterez dans la salle consacrée à St-François d’Assise qui n’avait pas son pareil pour vivre la médiation entre l’homme et les esprits de la nature. Et vous vous amuserez à regarder le travail à quatre mains sur le thème de la Tête de Mort, que Pascale Serre a réalisé avec une jeune fille de sa famille.
Et, tout au long de ce parcours, vous aurez vu des branches, des bois de cervidés ainsi que des bois peints rappelant les bâtons de chaman. Vous aurez aussi remarqué le rôle essentiel de l’écriture qui résonne avec le dessin et la peinture. Le discours, la parole servent à la communication et à la survie.
L’exposition est riche, racontant la mort et la vie, la vie et la mort, qui ne font qu’un. L’artiste a créé une ambiance envoûtante et a construit et mis en scène son expo avec passion.
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