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série d’art (1er mouvement)

Série d’art: des textes que j’ai écrits sur le thème de l’art. Des petites scènes, des petites histoires, des contes brefs…que sais-je. C’est une suite de « mouvements », comme en musique. Voici le premier, en 4 textes. Les autres sont sur mon blog, en rubrique textes persos.

Repainting

Epuisée, à deux heures du matin, elle vint s’effondrer sur la seule chaise de la salle. L’accrochage avait été éprouvant.

Assis par terre, il contemplait l’exposition depuis la porte d’entrée. La peinture de son amie avait quelque chose de vigoureux qui lui faisait plaisir. C’est épicé, se disait-il. Relevé !

Il sentit une main se poser sur son front, glisser le long de son nez, de ses lèvres, de son cou et déboutonner sa chemise. Il ferma les yeux, après un dernier regard à l’un des tableaux accroché non loin.

Et si, en faisant l’amour, ils allaient le peindre à nouveau ce tableau ?

Il sombra très vite dans une inconscience délicieuse et se sentit pris dans les entrelacs des pigments.

Il se coulait dans l’épaisseur de la matière. Il la contournait ou s’y enfonçait.

Le bleu était frais sur sa poitrine. Le noir plus lourd sur son ventre. Le gris se liquéfiait sur sa jambe. Sur son sexe, le jaune était éclatant. Une seule touche de soleil, là, au centre d’une cascade passionnée. Et les couleurs se précipitaient à l’intérieur. Elles tourbillonnaient en lui. Elles allaient fusionner. Une gerbe de flammèches vermillon jaillit comme un cri. Il sentit les paillettes d’étincelles brûlantes se poser une à une sur son visage et son torse.

Elles étaient écarlates.

Et de minuscules morceaux de sa peau ruisselaient en surface, sans douleur, laissant quelques cristallines traînées transparentes.

Il ouvrit les yeux.

Elle le regardait, penchée au-dessus de lui. Elle avait le regard humide de larmes. Repoussant pudiquement l’émotion, il questionna, amusé, Comment a-t-on fait pour redescendre du tableau et tomber sans se faire mal ?

Elle hocha la tête et, ironique lança : Tu as donc fait un mauvais rêve ?

-Non, au contraire ! J’ai eu un plaisir très coloré ! Comme jamais !

Il  l’embrassa. Comme un merci.

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Aéroformes

Le jour où j’ai découvert que l’air était matière, j’ai abandonné la pierre, la terre et le métal. Et j’ai bien fait, car ils me privent de tout depuis que je suis ici. Ils m’en veulent. Dès que je suis arrivé, ils m’ont refusé tous les outils, tous les matériaux que je leur réclamais. Quand vous serez guéri, on vous rendra votre matériel. Je ne dis plus rien maintenant. S’ils savaient comme je m’en moque de leurs interdictions! Je me mets au travail dès le réveil. L’air frais du matin, avant que les radiateurs ne chauffent trop la pièce, est parfait pour  réaliser les grosses masses. Je le pétris facilement. Dense entre mes paumes. Résistant juste comme il faut. Je rassemble un certain volume devant moi, et je prends plaisir à, doucement,  lui donner la forme d’une sphère, ou celle d’un cube. Pour m’assurer de sa taille, je l’enserre de mes bras et l’amène contre moi. Je sens sa présence ferme et souple. Si quelqu’un entre, je pose mes mains sur mes genoux, sage comme une image. Vous n’oublierez pas vos médicaments. Oui, madame. Je crains toujours qu’elle ne bouscule mon ouvrage en cours. Mais dès qu’elle s’approche, je le pousse discrètement de quelques centimètres. Et ça suffit. Je n’ai jamais eu de dégats.

A 10 heures, l’air devient très malléable. J’enfonce mes doigts dans la masse que j’ai confectionnée. Puis je la lisse. Je la palpe. Je la tapote.

A midi, après un temps de repos, je débute un travail plus délicat. L’air a tiédi et il a maintenant quelque chose de fluide. Je l’étire comme du verre en fusion. Il peut faire de longs filaments, au gré de mes envies. J’affine la forme. Je l’allonge.

Au début, j’étais maladroit, établissant des rapports de force avec l’air, ou le manipulant trop violemment. Mes gestes étaient trop vifs, trop saccadés. J’ai compris peu à peu combien il fallait de relâchement, d’élasticité et de relative douceur pour sculpter l’air. Les mains doivent être toujours un peu fermées, comme arrondies, pour mieux comprimer et malaxer le volume.

Et si la matière venait à me manquer ? C’est mon angoisse. Mais j’ai l’impression que l’air se renouvelle dans ma chambre. Peut-être au moment où la porte s’ouvre. C’est assez rare, mais je pense que c’est suffisant. La fenêtre, elle, est bien trop haute pour que je puisse l’atteindre. Et d’ailleurs, je crois qu’on ne peut pas l’ouvrir. Je suis sûre qu’ils ne veulent pas que je l’ouvre. Dommage, car je crois que, dehors, l’air a une autre consistance. Je l’imagine fin et aérien, avec peut-être quelques poussières de paillettes. A peine granuleux sous les doigts. Tellement  léger, en tout cas. Facile à travailler. J’aurais fait de belles choses avec. Tant pis. Je me contenterai de mon air, de celui que je connais bien, de celui de ma chambre.

Avec lui j’ai déjà réalisé dix objets.

Je les ai suspendus au plafond. Personne ne les dérange. Personne ne les connaît.

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Coups de rouge

Happée. Propulsée. Elle se laissait faire. Le maître décidait. La jambe gainée de fin cuir rouge, elle bondissait, légère.  En suspension dans l’air un court instant, elle retombait en douceur sur le sol pâteux. Celui-ci avait de longues traînées grisâtres, des petits cratères bruns et des aplats noirs de noir…Elle le sentait à peine résistant sous ses pas de danseuse. Seules quelques cassures, comme des crêtes montagneuses en miniature, lui donnaient la sensation  d’être fermes et coupantes sous le pied. A chaque sautillement, sa jupette rouge, à l’ourlet savamment effiloché, se soulevait un peu . Elle agrippait son petit bonnet de laine écarlate qui lui cachait les cheveux et les oreilles. Non, il ne s’envolait pas, bien moulé sur le crâne. Soudain, elle s’affaissa sur une pente d’une teinte plus foncée encore que le restant du décor et elle se sentit glisser irrésistiblement vers le bas. Un tobogan lisse qui la faisait dévaler très vite. Elle posa ses mains étalées des deux côtés de son corps, étendit les jambes, cala ses talons devant elle et attendit que cesse cette grande descente. Elle finit par décoller. Le vide sous elle. Un vaste bond dans l’espace. Elle ferma les yeux, certaine que déjà s’achevait son existence éphémère. Une dernière impression de chuter à vive allure, de toucher une surface froide et elle s’enfonça dans l’eau du gobelet qu’elle teinta aussitôt de rouge.

Le peintre lâcha le pinceau.

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Musée

Je m’étais assoupie à l’intérieur du petit paysage. Le banc de velours rouge sur lequel j’étais assise occupait le centre de la salle. J’avais laissé partir mes parents arpenter le reste du musée. J’avais prétexté mon envie de prendre quelques croquis de cette Vierge à l’Enfant. En fait, je m’étais concentrée sur le second plan. J’avais fini par y entrer. Un grand rocher en forme de pain de sucre s’approchait de moi, jusqu’à m’effleurer. La douceur de son roc bleuté m’étonna. Instinctivement, j’écartai les jambes. Peut-être aurais-je aimé qu’il me pénétrât…Mais il me contourna. Un éclair de lucidité me fit vite refermer les jambes. Qu’allait penser de moi la foule des visiteurs qui traînait des pieds autour du banc ?

En face, une longue plaine sèche s’enroulait. Bleutée comme le roc. Un petit arbre rondelet s’enfuyait sur ma droite. Un autre, gringalet, épanoui en son sommet, venait à moi. J’amorçais doucement une courte rotation pour embrasser la vue. D’autres rochers émergeaient ici et là d’un sol laiteux. Figurant quelques constructions en ruine. Pas de Vierge à l’Enfant. Même dans mon dos. Un instant, l’angoisse me submergea. J’étais seule dans ce paysage clos, perdue dans une lumière d’aube. Le bruissement des visiteurs du musée me rassura. La foule était toujours là. Le fond du tableau avait repris son mouvement. De gros blocs défilaient. Ils devenaient de plus en plus carton pâte. Le paysage devenait décor. Je sentais que j’allais bientôt en être expulsée…

La voix de papa me rappela à l’ordre. « Alors, ces croquis ? » Il se pencha sur mon carnet et me dit, un peu déçu, « ah ! Tu n’as fait que l’arrière-plan… » Et, condescendant, il ajouta « remarque, ces paysages de fond de tableaux sont intéressants, ça vaudrait le coup d’en faire une étude… »

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