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J.M. Hwang, à La Source, pile ou face

HwangExtraitEn décembre 2010, le jeune artiste coréen Jong-Myung HWANG , qui est déjà une pointure dans le monde de l’art contemporain, a présenté son travail à la galerie La Source, à Fontaine-les-Dijon. Le choc.

Des visages grand format vous accueillent. Ils ne vous quitteront plus! Même après votre départ de la galerie! Certains vous suivent des yeux…Impressionnant! Le peintre Hwang a intitulé son exposition « Face ». Parce que… « pile et face »… De l’autre côté d’un visage qu’y a-t-il? Il tente de nous le dire.

Même si l’artiste s’inspire d’une photo au départ, on ne peut pas parler de réalisme. Contrastes forcés, couleurs outrées, détails exagérés, absence d’expression…On est plutôt en présence de masques. S’ils tombent, on découvrira un vide derrière eux. Un creux. Un trou. Il serait en effet bien difficile de deviner une quelconque personnalité au travers de ces visages fixes, sans émoi…

Bref, c’est troublant. Ces grandes figures fascinent. Mais comme des momies.

Hwang utilise parfaitement les techniques du portrait (ces artistes asiatiques, décidément, sont bluffants de connaissances en dessin et peinture complètement assimilées) mais sans faire de réels portraits. Non, il ne cherche pas à faire « ressemblant ».

On est devant une humanité déshumanisée, des personnes en perte d’identité…C’est l’idée sous-jacente à laquelle tient l’artiste.

Je crois que l’ambiguïté « photo ou pas photo »? (ça y fait penser, quand même, non?) joue aussi son rôle. Parmi les visiteurs, beaucoup vont croire que ce sont des agrandissements, des projections etc.  En plus, l’artiste explique lui-même qu’il utilise Photoshop…Pour amplifier les contrastes. Mais cependant, de la photo il passe à la peinture…On est perdu. L’image? L’apparence? La photo, c’est plus vrai que la peinture? On est trompé. Mais c’est tant mieux! Ce jeune homme a un talent fou!

Cliquez sur la photo pour agrandir en plusieurs fois

Ici, suit le texte de présentation de Hwang au vernissage écrit par Claude Martel:

Depuis une dizaine d’années, la scène artistique coréenne se distingue par l’émergence d’une jeune génération d’artistes issue de la révolution informatique et de la mondialisation. Malgré la grande diversité de leurs modes opératoires, on peut observer dans leurs travaux quelques thèmes récurrents : problèmes d’identité, différences culturelles, difficultés de communication.

Je suis heureuse d’accueillir, à la galerie La Source, monsieur Hwang, jeune artiste coréen, élève de l’école des beaux arts de Dijon. Il a intitulé son exposition : « face », ce qui nous renvoie au portrait, ce genre pictural si convenu, si classique. Le portrait focalise toute la problématique sur l’image, or l’image qui fait sens est d’abord, dans l’art occidental, anthropomorphique. Dans la langue française, le terme de figure s’applique au visage, l’art figuratif a commencé avec lui. Au cours des siècles, le portrait a subi tous les statuts :de celui de liant iconique social à celui de représentation de l’intériorité de l’âme. L’exercice du portrait  a investi le champ pictural à toutes les époques, emprunté tous les styles et pris toutes les formes. Il a exploré la négation du temps par la représentation idéalisée, la confrontation au fantasme du double, à la hantise de la disparition et de la mort. Tous ces portraits  renvoyaient toujours à des personnes qui symbolisaient la permanence du visage humain.

Hwang nous donne à voir un ensemble de visages qui pourraient être des portraits  mais qui ne sont pas des portraits, si je me réfère à la définition que j’en ai donnée. Il n’idéalise pas, il n’explore pas des personnalités, il produit des figures anonymes, indifférenciées, vidées de leur substance, qui traduisent l’uniformisation des sociétés contemporaines. Ces portraits ne sont pas des portraits, ils évoquent l’immobilité,  celle  dans laquelle le destin fait figure de désastre.

L’artiste travaille à partir de photographies qu’il reproduit en les déformant légèrement. L’objectif de l’appareil a déjà dépouillé l’individu de son caractère unique car la mise au point photographique est impossible sur quelqu’un dont la mise au point psychologique laisse fortement à désirer. L’être humain est tellement chargé de sens qu’il est impensable de s’en écarter pour trouver la forme secrète de son absence. Or c’est  précisément cette absence, ce néant, cette irréalité de l’image, qui fondent sa magie et sa puissance. Même dans les corps ou les visages chargés d’émotion c’est toujours cette  absence qu’explore l’objectif. L’intensité de l’image est à la mesure de sa négation du réel. Faire du sujet une image, c’est lui ôter toutes ses dimensions : le poids, le relief, le parfum, le temps, la continuité dans l’espace et bien sûr le sens…C’est au prix de cette désincarnation que l’image prend sa puissance de fascination.

Avec la complicité de la photo, Hwang, armé de sa virtuosité technique, va atteindre le crime parfait. Le masque remplace l’identité, le soi est défiguré. Le problème du réel ne se pose plus, ces êtres passent d’emblée au-delà du vrai et du faux, au-delà du bien et du mal, au-delà du réel et de l’irréel. Ces visages sont l’allégorie du vide dans  lequel nous sombrons, le peintre en a effacé toute humanité, il nous dit tout cela en peinture : le grain de la peau, la brillance de la chair, la forme de la face, la fixité du regard, l’implantation des cheveux, la couleur beaucoup trop rose. Les tableaux sont  exécutés avec un « excès de réalisme » qui dérange. Le « je » sombre avec « l’autre » et c’est tout un monde qui disparaît.

Pourtant, si la société est moribonde, la peinture ne l’est pas. Sa force est de nous révéler ce que la photo était incapable de nous dévoiler. Multipliant les détails, stockant les informations les plus dérisoires avec une précision délirante,  Hwang nous plonge dans la lumière aveuglante d’une vérité dont l’évidence harcèle l’esprit frappé d’hallucinations.  Un abîme s’ouvre sous nos pieds au moment où la sensation de la réalité est la plus aiguë.

Avec une grande technique académique, le peintre élève l’insignifiance de l’image au rang de tableau unique. Il veut que nous gardions les yeux bien ouverts, face à cette société exsangue, défigurée, en perte d’identité. S’il parvient à créer un lien entre « moi » et « l’autre » alors peut-être nous sera rendue notre part d’humanité…seul l’art est capable de réaliser ce miracle.

Claude Martel

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