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série d’art (3ème mouvement)

J’ai regroupé sous ce titre « Série d’art » quelques textes que j’avais écrits de-ci de-là (ou que j’ai extraits d’autres petites choses que j’avais pondues) et qui ont l’art pour sujet commun, puisque tel est le thème de mon blog.  « Série d’art » est sous forme de « mouvements », comme de la musique…Voici le 3ème, avec deux textes. (sinon, à lire ailleurs dans mon blog si ça vous dit)

Douleur

Sa douleur était grise.

Un gris poisseux, comme un cerveau dans le formol ou un vieil asphalte usager.

Et sa douleur était grumeleuse. Filandreuse. Serpillière morte souillée de sable mouillé. Terre glaise saturée de poussière collée.

Il connaissait la couleur et la consistance de sa douleur, parce qu’il en exhumait régulièrement des lambeaux.

Pour cette extraction, de l’extrême fond de son intime, il avait sa méthode personnelle, gardée secrète.  « Question de concentration ! Et de connexion !» disait-il, mystérieux.

Quand il avait réussi à extirper des morceaux de sa douleur, il rayonnait…« ça a déchiré cette nuit ! J’ai été la chercher loin, celle-là ! Tiens ! Elle est encore chaude ! » Et il montrait, sur son établi de sculpteur, une forme enveloppée dans un linge humide.

En général, à ce moment-là, un silence s’installait. Il contemplait la petite masse cachée sous le tissu, qui m’évoquait irrésistiblement un fœtus emmailloté.

Je voyais ses mains vibrer légèrement. Tremblantes de l’effort fourni lors de l’exhumation ? Ou tremblantes d’impatience pour la suite ?

Allez ! Viens ! Je te montre mes petites dernières ! disait-il enfin, s’ébrouant d’une léthargie singulière. Et le voilà lancé dans une visite guidée de son atelier, oubliant les œuvres habituelles pour ne m’expliquer que ses « nouvelles douleurs ».

En effet, l’étrange matière interne, mise au jour par cet homme de génie, devenait sculpture sous ses doigts. Il réalisait des figurines. Je dis « figurines » parce que je n’ai pas d’autre mot à ma disposition pour désigner ces petites silhouettes torturées.  Lui, il les appelait ses « petites douleurs ». Je modèle « ça » aussi facilement que de la terre chamottées…affirmait-il. Touche, comme c’est sablonneux et fin sous les doigts, me disait-il en me glissant un bout de matière grise (?) dans la main. Je frémissais au contact de cette chose que je savais irréelle, inconcevable…Et pourtant, je me mettais moi aussi à rouler et à pétrir…Quelques fibres ténues, quelques grumeaux imperceptibles en faisait une matière pas vraiment homogène. Mais si douce…Le sculpteur de douleurs, modelait tout cela, colorait et cuisait à haute température.

Et tu sais ce que je leur réponds à ceux qui me questionnent sur le matériau utilisé…(Et ils me croient, en plus ! rigolait-il)

Je leur dis : mon matériau ? Ben, ce sont mes excréments !

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Installation

Vous entrez dans l’exposition. Une salle immense à charpente métallique. Glaciale. Grise. Au milieu, deux blocs aux murs de béton grossier, pourvus chacun d’une seule ouverture étroite. Telles des logements sans fenêtre. Vous vous engouffrez dans le premier.

Dès l’ entrée, vous êtes saisi par une masse épaisse autour de vous, mais qui cède quand vous progressez.  Vous avancez, pris dans cette sorte de mousse qui moule votre corps mais ne vous gêne pas pour avancer. Qui se déforme au fur et à mesure que vous vous déplacez. Mi-spongieuse, mi-caoutchouteuse. Cet énorme volume vous enserre jusqu’au cou. La tête dépasse. Devant vous, une surface bleue, partie supérieure de ce bloc géant de mousse (ou autre matériau que vous ne connaissez pas).  Vous marchez, sentant à peine la résistance de la chose, mais appréciant sa douce pression partout sur votre corps. Une pression mouvante dont vous percevez le petit chuintement. Ce n’est pas rugueux et vous glissez aisément contre cet étrange élément, qui semble vouloir vous garder prisonnier tout en vous laissant la liberté d’évoluer.  Vous tentez de tourner la tête pour voir l’empreinte derrière vous.  Peu de traces. Cet océan bleu se referme vite et reprend son volume initial.

Quand vous quittez la pièce, vous sentez encore sur vous les mille mains qui vous massaient.  Ce n’est qu’au bout de quelques minutes que vous songez à jeter un œil sur vos vêtements, de crainte de les voir tachés ou froissés par cette nage étrange que vous venez d’effectuer.  Mais non.  La mer souple et massive qui vous a porté n’a rien abîmé.

Vous ressortez de là tout frémissant. La seconde pièce vous attend.

Une lueur pâle et citronnée y règne.  Vous pénétrez dans une sorte de forêt faite de grandes bandes de tissu blanc, en forme de plumes géantes, suspendues au plafond et qui vous descendent jusqu’aux genoux. Parfois, remplacées par de longs rubans de voile immaculés ou de fines lanières de laine mohair. Vous avancez dans ce réseau serré de lianes textiles qui se mouvent doucement sur votre passage.  Vous regrettez d’être autant habillé, devinant les caresses de ces tiges arachnéennes sur votre corps. Vous marchez lentement, votre visage offert aux doux chatouillements. Parfois, vous vous retournez pour voir le sillon tracé par votre passage. Là encore, à peine perceptible.  Juste une légère ondulation qui fait vibrer la lumière et ne fait entendre qu’un faible froufrou. En émergeant de ce dédale, vous gardez l’agréable impression du contact des matières sur vous.

Quelqu’un vous indique alors une troisième partie de l’exposition, que vous n’avez pas encore remarquée.

C’est un couloir. Vous y entrez prudemment et recevez aussitôt, venues du plafond, une myriade de petites billes transparentes qui rebondissent sur vos vêtements avant de rouler au sol.  Vous faites un pas en avant. La grêle tombe serrée. Mais les gouttes sont si légères que vous ne les sentez pas. Vous avancez à l’aveugle sous cette averse d’orage. Le rideau devant vous est compacte. Vous clignez parfois des yeux car des gouttes vous glissent sur le visage. Vous tentez, par curiosité, d’en saisir quelques unes. Sans doute du polystyrène ou une matière du même genre. Par terre, les petites bulles blanchâtres s’éparpillent en sautillant, mais elles ne s’entassent pas, absorbées, semble-t-il, par un système d’aspiration au bas des cloisons.Vous écoutez l’infime sifflement que fait cette étrange pluie sèche et vous vous arrêtez par moments pour vous ébrouer, croyant voir s’accrocher des gouttes à vos cheveux ou à vos habits. Vous vous étonnez bêtement de ne pas avoir froid et, surtout, de ne pas être mouillé. Évidemment non, vous n’êtes pas mouillé.  Votre raison vous le dit. Mais ce décalage entre votre propre réalité et les éléments extérieurs vous dérangent.  Pas de conséquence logique.  C’est gênant. Mais délicieux aussi… L’incohérence toute relative de la situation vous plaît.  Vous sortez du couloir presque à regret. La pluie s’arrête net.

Vous constatez alors que cette fausse giboulée vous a lavé des sensations agréables des deux premières installations.  –Dommage- dites-vous.


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